HISTOIRE, MÉMOIRE, TERROIR N°6
L’article que l’hebdomadaire La Voix du Sancerrois vient de consacrer à « la mémoire de Roland Champenier » participe sans l’avouer à une mythologie de la seconde guerre mondiale dont notre XXIe siècle a vraiment du mal à se départir.
Tout ce que l’on croit savoir de ce maquisard berrichon, — ayant essentiellement combattu dans la Nièvre — procède d’une hagiographie tellement hyperbolique que ce « grand homme de Marseilles-les-Aubigny »1 semble soudain désincarné.
Les rares éléments biographiques que l’on trouve à son sujet en dressent un portrait héroïque qui ne trahit ni faiblesse ni défaut.
On le découvre tour à tour instruit, besogneux, courageux, entreprenant, intrépide, opiniâtre, altruiste, charismatique, zélé, patriote. Bref, le héros parfait, sans la moindre aspérité.
La liste de ses exploits apparaît, il est vrai, stupéfiante : aussitôt son CAP en poche, il opte pour la lutte clandestine, il met en place des équipes de sabotage, il tisse un réseau d’évasion avec le concours des mariniers pour aider des prisonniers à trouver refuge en « zone libre », il crée un maquis sur les îles de la Loire, entre Cher et Nièvre, il dirige la bataille de Donzy, il attaque l’hôpital de Nevers pour y libérer des camarades torturés…
Mieux encore, toute sa famille prend part, à ses côtés, à la martyrologie de l’Occupation.
Ses grands parents, victimes de la rafle de Beffes, le 30 avril 1944, sont déportés. Sa grand-mère Léonie périt dans un camp de concentration.
Son père Louis2 est tué lors de la bataille de Donzy, le 1er juillet 1944.
Son frère Maurice, âgé de 14 ans, brièvement arrêté lors de la rafle de Beffes, lui servira d’agent de liaison.
Apothéose d’un destin tragique : notre héros berrichon trouve la mort dans la bataille des Vosges le 14 novembre 1944. Il avait tout juste vingt ans.
Hélas, le récit de cette épopée ne nous raconte pas l’essentiel : pourquoi ce preux « Roland, paladin du maquis » — titre d’une brochure (communiste) éditée à sa gloire —, avait-il choisi cet engagement total ? Comment a-t-il pu s’y imposer si jeune ? Quelles raisons intimes, militantisme mis à part, animaient son action ?
Aujourd’hui, ne perdure de lui que la posture emblématique d’un jeune berrichon qui choisit de combattre une utopie meurtrière, — le nazisme — au nom d’une autre utopie politique, le communisme, qui se révélera tout aussi meurtrière…
Est-il pour mort « pour ses idées » ou « pour son pays » ? Libre à chacun d’interpréter, selon le degré de sympathie qu’inspirent les cérémonies cultuelles à la gloire d’une utopie d’un autre temps…
Seule entorse à l’orthodoxie communiste : cette année, la chorale de Pougues-les-Eaux a omis de jouer l’Internationale, l’hymne qui présida aux obsèques3 du commandant Roland Champenier. Sans doute parce que l’utopie ne fait plus rêver… pas même à Marseilles-les-Aubigny.
NOTES —
1« Nos grand hommes » : titre de la rubrique que le site de Marseille-les-Aubigny consacre au commandant Roland Champenier.
http://www.marseilles-les-aubigny.fr/index.php?ID=3&A=8
2Selon des témoignages convergents datant de 1947 et 1948, Louis Champenier, père de Roland, aurait participé, en compagnie de son beau-frère, à l’attentat (manqué) contre le gestapiste Pierre Paoli, le 14 août 1943 à Aubigny-sur-Nère.
3Cf. ci-dessous, l’article du Berry Républicain du 21 novembre 1944
Document 1 – Annonce de la mort de Roland Champenier
Source — Archives départementales du Cher, PER 204 : article in Le Berry Républicain, 17 novembre 1944
Document 2 — Les Obsèques de Romand Champenier
Source — Archives départementales du Cher, PER 204 : article in Le Berry Républicain, 21 novembre 1944
Document 3 — Compte-rendu d’audition de François Champenier, grand-père de Louis, au cours de l’instruction de l’affaire Paoli
Source : Archives départementales du Cher, 755 W 1 : PV audition François Champenier, 22 janvier 1946
Document 4 — Hommage rendu en novembre 2011
Source : La Voix du Sancerrois, jeudi 17 novembre 2011 (extrait)
Plusieurs pages sont consacrées à la rafle de Beffes (30 avril 1944) dans mon roman historique, — Trompe-la-Mort - Les cahiers secrets de Pierre Paoli, agent français de la Gestapo — écrit à partir de mes recherches dans les archives départementales du Cher et de témoignages inédits recueillis auprès de personnes ayant vécu cette période.
Source : Jacques GIMARD — Trompe-la-Mort — Les cahiers secrets de Pierre Paoli, agent français de la Gestapo (Éditions Qui Lit Vit, 320 pages, format 14x20 cm, 22 €)
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